L'industrie lainière
était l'une des plus florissantes de Pompéi, où
l'on pratiquait l'élevage du mouton.
Après la
tonte, la laine était lavée avec de la saponaire
avant d'être nettoyée de ses impuretés, séchée,
cardée avec un peigne de fer et conditionnée dans
des corbeilles.
Les Romains ignoraient
la technique du rouet, qui ne sera inventée qu'au moyen
âge : la laine était filée au fuseau, comme
on le voit sur l'une des peintures murales de la maison de la
Vénus à la coquille. Le fil était
teint puis confié à la textura, l'atelier
de tissage. Les tissus passaient ensuite à la fullonica.
Le mot "fullonica"
désigne en même temps l'atelier où l'on
foulait la laine et l'art de la foulonnerie. Le travail des foulons
consistait aussi bien à apprêter la laine vierge
pour en faire du drap qu'à nettoyer les vêtements
déjà portés. C'est pourquoi les fullones
étaient aussi appelés lavatores, lotores ou
lutores.
La fullonica de
l'affranchi Stephanus, avec ses quatre bassins, ses cinq cuves
de foulage et ses vastes étendoirs à l'étage,
est la mieux conservée de Pompéi mais on en comptait
pas moins de quatre dans la ville. Le Musée de Naples
conserve un pilier appartenant à la plus grande, celle
de Veranius Hyposaeus (VI, 8, 20), qui détaille une à
une toutes les étapes du travail et confirme pleinement
les informations que nous donnent les textes anciens.
Hippocrate nous
enseigne que la laine était foulée aux pieds avant
le filage et après le tissage dans de l'eau salée,
dans de l'eau additionnée de carbonate de soude ou de
potasse voire dans de l'urine animale ou humaine. La "terre
à foulon", qui est une sorte d'argile absorbante,
permettait aussi de dégraisser les tissus de laine.
Les terres à
foulon étaient plus ou moins recherchées et plus
ou moins chères. La "creta cimolia",
qui venait des Cyclades, était la plus noble. Venaient
ensuite la terre d'Ombrie ("umbrica terra"),
la roche ("saxum") et la terre de Sardaigne,
réservée aux étoffes blanches.
Après le
foulage, les tissus étaient battus, rincés et séchés.
Il fallait alors procéder au cardage ; on utilisait pour
ce faire divers chardons ou centaurées ("fullonica
spina" et "centaurea spinosa") et tout
particulièrement le "cardère"
ou "chardon" à foulon ("dipsacus
fullonum"), une plante bisannuelle dont la tige est
couverte d'aiguillons, voire la peau du hérisson.
Comme le montrent
les peintures figurant sur la stèle des foulons du Musée
de Naples, les foulons de Pompéi peignaient les draps
de laine pendus avec une brosse (probablement métallique),
l'"aena", hérissée de ces aiguillons
végétaux.
On plaçait
ensuite les étoffes sur une cage d'osier sous laquelle
brûlait un réchaud de soufre. Les étoffes
étaient enfin "apprêtées" :
les blanches étaient frottées avec une terre
à foulon exaltant leur blancheur (le "saxum"
ou la terre de Sardaigne) et les étoffes de
couleur avec de la terre d'Ombrie ou de la "creta
cimolia", qui redonnait de l'éclat aux
couleurs pâlies par les vapeurs de soufre.
Après avoir
tondu les étoffes ainsi apprêtées, on pouvait
les "repasser". Pour ce faire, un ouvrier les
humectait avant de les mettre sous presse, dite "pressarium"
ou "torcular". Il prenait de l'eau dans sa bouche
et la pulvérisait sur le linge qu'il pliait soigneusement
afin que la presse le mette parfaitement en forme. On a trouvé
à Herculanum, intacte, une presse rigoureusement identique
à celle que représente la stèle des foulons
du Musée de Naples. Stephanus avait installé la
sienne dans l'entrée de sa fullonica, où l'on en
a trouvé les vestiges.
Le travail de la
fullonica demandait beaucoup d'eau, courant de bassin en bassin,
comme on le voit dans l'atelier de Stephanus. Tout près
des bassins, étaient établies les niches dans lesquelles
on installait les cuves à fouler. Les ouvriers, prenant
appui sur les murettes latérales, foulaient aux pieds les
tissus, pratiquant le "fullonius saltus" dont
parle Sénèque dans l'une de ses lettres (XV, 4).
Les foulons de Pompéi
collectaient l'urine dont ils avaient besoin dans de grandes
cuves de terre cuite ("testae") qu'ils installaient
dans les rues, devant l'entrée de leur boutique, et qu'ils
remplaçaient au fur et à mesure que les habitants
les avaient remplies.
Minerve était
la divinité protectrice des foulons, qui célébraient
sa fête le 9 mars. C'est peut-être elle qui est représentée
sur la stèle des foulons du Musée de Naples. Le
concurrent de Veranius Hyposaeus, quant à lui, avait préféré
mettre sa boutique sous la protection d'un phallus ailé
abrité sous un petit temple à degrés. Pour
faire bonne mesure, il avait installé un autre phallus
sur sa façade.
Si l'on en croit
l'énorme somme que l'on a découverte près
du squelette gisant devant l'entrée (1089,5 sesterces
- probablement le montant de la dernière recette), ses
voeux étaient exausés : le commerce du foulon était
florissant. Les prix de la blanchisserie étaient en effet
relativement élevés : le lavage d'une tunique coûtait
un denier, soit quatre sesterces, ou seize as, c'est-à-dire
seize fois plus qu'une coupe de vin ordinaire ou qu'une miche
de pain d'environ une livre ! On a calculé qu'une famille
de petite aisance dépensait en moyenne 8 as par jour et
par personne pour les denrées alimentaires. Il fallait
donc à un Pompéien l'équivalent de deux
jours de nourriture pour faire nettoyer sa tunique. |