La fullonica de Stephanus

La Fullonica de Stephanus (photo © Patricia Carles)

L'industrie lainière était l'une des plus florissantes de Pompéi, où l'on pratiquait l'élevage du mouton.

Après la tonte, la laine était lavée avec de la saponaire avant d'être nettoyée de ses impuretés, séchée, cardée avec un peigne de fer et conditionnée dans des corbeilles.

Les Romains ignoraient la technique du rouet, qui ne sera inventée qu'au moyen âge : la laine était filée au fuseau, comme on le voit sur l'une des peintures murales de la maison de la Vénus à la coquille. Le fil était teint puis confié à la textura, l'atelier de tissage. Les tissus passaient ensuite à la fullonica.

Le mot "fullonica" désigne en même temps l'atelier où l'on foulait la laine et l'art de la foulonnerie. Le travail des foulons consistait aussi bien à apprêter la laine vierge pour en faire du drap qu'à nettoyer les vêtements déjà portés. C'est pourquoi les fullones étaient aussi appelés lavatores, lotores ou lutores.

La fullonica de l'affranchi Stephanus, avec ses quatre bassins, ses cinq cuves de foulage et ses vastes étendoirs à l'étage, est la mieux conservée de Pompéi mais on en comptait pas moins de quatre dans la ville. Le Musée de Naples conserve un pilier appartenant à la plus grande, celle de Veranius Hyposaeus (VI, 8, 20), qui détaille une à une toutes les étapes du travail et confirme pleinement les informations que nous donnent les textes anciens.

Hippocrate nous enseigne que la laine était foulée aux pieds avant le filage et après le tissage dans de l'eau salée, dans de l'eau additionnée de carbonate de soude ou de potasse voire dans de l'urine animale ou humaine. La "terre à foulon", qui est une sorte d'argile absorbante, permettait aussi de dégraisser les tissus de laine.

Les terres à foulon étaient plus ou moins recherchées et plus ou moins chères. La "creta cimolia", qui venait des Cyclades, était la plus noble. Venaient ensuite la terre d'Ombrie ("umbrica terra"), la roche ("saxum") et la terre de Sardaigne, réservée aux étoffes blanches.

Après le foulage, les tissus étaient battus, rincés et séchés. Il fallait alors procéder au cardage ; on utilisait pour ce faire divers chardons ou centaurées ("fullonica spina" et "centaurea spinosa") et tout particulièrement le "cardère" ou "chardon" à foulon ("dipsacus fullonum"), une plante bisannuelle dont la tige est couverte d'aiguillons, voire la peau du hérisson.

Comme le montrent les peintures figurant sur la stèle des foulons du Musée de Naples, les foulons de Pompéi peignaient les draps de laine pendus avec une brosse (probablement métallique), l'"aena", hérissée de ces aiguillons végétaux.

On plaçait ensuite les étoffes sur une cage d'osier sous laquelle brûlait un réchaud de soufre. Les étoffes étaient enfin "apprêtées" : les blanches étaient frottées avec une terre à foulon exaltant leur blancheur (le "saxum" ou la terre de Sardaigne) et les étoffes de couleur avec de la terre d'Ombrie ou de la "creta cimolia", qui redonnait de l'éclat aux couleurs pâlies par les vapeurs de soufre.

Après avoir tondu les étoffes ainsi apprêtées, on pouvait les "repasser". Pour ce faire, un ouvrier les humectait avant de les mettre sous presse, dite "pressarium" ou "torcular". Il prenait de l'eau dans sa bouche et la pulvérisait sur le linge qu'il pliait soigneusement afin que la presse le mette parfaitement en forme. On a trouvé à Herculanum, intacte, une presse rigoureusement identique à celle que représente la stèle des foulons du Musée de Naples. Stephanus avait installé la sienne dans l'entrée de sa fullonica, où l'on en a trouvé les vestiges.

Le travail de la fullonica demandait beaucoup d'eau, courant de bassin en bassin, comme on le voit dans l'atelier de Stephanus. Tout près des bassins, étaient établies les niches dans lesquelles on installait les cuves à fouler. Les ouvriers, prenant appui sur les murettes latérales, foulaient aux pieds les tissus, pratiquant le "fullonius saltus" dont parle Sénèque dans l'une de ses lettres (XV, 4).

Les foulons de Pompéi collectaient l'urine dont ils avaient besoin dans de grandes cuves de terre cuite ("testae") qu'ils installaient dans les rues, devant l'entrée de leur boutique, et qu'ils remplaçaient au fur et à mesure que les habitants les avaient remplies.

Minerve était la divinité protectrice des foulons, qui célébraient sa fête le 9 mars. C'est peut-être elle qui est représentée sur la stèle des foulons du Musée de Naples. Le concurrent de Veranius Hyposaeus, quant à lui, avait préféré mettre sa boutique sous la protection d'un phallus ailé abrité sous un petit temple à degrés. Pour faire bonne mesure, il avait installé un autre phallus sur sa façade.

Si l'on en croit l'énorme somme que l'on a découverte près du squelette gisant devant l'entrée (1089,5 sesterces - probablement le montant de la dernière recette), ses voeux étaient exausés : le commerce du foulon était florissant. Les prix de la blanchisserie étaient en effet relativement élevés : le lavage d'une tunique coûtait un denier, soit quatre sesterces, ou seize as, c'est-à-dire seize fois plus qu'une coupe de vin ordinaire ou qu'une miche de pain d'environ une livre ! On a calculé qu'une famille de petite aisance dépensait en moyenne 8 as par jour et par personne pour les denrées alimentaires. Il fallait donc à un Pompéien l'équivalent de deux jours de nourriture pour faire nettoyer sa tunique.

une fileuse

 

 stèle des foulons

 

 le foulage

cuves de foulage 

 bassin principal

 cardage et soufrage

le "torcular" ou...

 

... presse à repasser 

 dans la boutique du foulon

 en hommage à Minerve

les étendoirs

 la maison de Stéphanus

 

 talisman mural
 

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