Rien n'est
plus émouvant, peut-être, que de flâner dans
les rues de Pompéi. On y sent partout palpiter la vie
de la cité engloutie, toute bruissante de ses activités
commerciales, résonnant du fracas des chars, des insultes
des conducteurs pressés, des rires et des jeux des enfants,
des conversations des femmes arrêtées à la
fontaine...
La ville, qui a
gardé de sa vocation militaire originelle d'imposantes
fortifications, est construite selon un plan classique en damier
emprunté à Hippodamos de Milet. Le cardo,
du sud au nord, formé par les rues de Stabies et du Vésuve,
et le decumanus, d'est en ouest, la traversent de part
en part. Pompéi doit à son expansion dans l'histoire
de compter deux decumani maximi, la fameuse rue de l'Abondance,
qui se prolonge, au-delà du Forum, par la rue de la Mer,
et l'axe formé par la rue de Nole, la rue de la Fortune
et la rue des Thermes.
Les voies pompéiennes
s'articulent selon une logique rigoureuse suivant l'importance
des quartiers traversés, des artères principales
qui mènent au forum, coeur battant de la cité,
tout en desservant les portes, au vicus, à la ruelle
vouée aux circulations de proximité, comme le vicus
de la boulangerie de Modeste, voire au viculus, simple
venelle abritant de riches villas ou de modestes auberges comme
le viculus Mercurius, par exemple.
La rue de l'Abondance,
qui doit son nom à sa fontaine sculptée d'une
Concordia augusta portant une corne d'abondance, est bordée
de nombreuses boutiques et mène tout droit au forum. Elle
était sans doute, avec ses 8m 50 de large, la plus fréquentée
de Pompéi. On y trouve de nombreuses "affiches"
électorales, peintes en lettres rouges et noires sur les
murs. Les commerçants, voire de simples particuliers,
tenaient en effet à honneur de faire partager leurs choix
électoraux par leurs concitoyens. Groupés en corporations
de métiers ou de quartiers, ils embauchaient des scriptores
qui travaillaient de nuit à la lumière d'un
lanternarius. Les femmes, même si elles n'avaient
pas le droit de vote, ne répugnaient pas à s'engager
dans la lutte politique : Asellina, simple tenancière
d'un thermopolium, et ses employées - Smyrina, Aegle,
Maria - les serveuses (et/ou prostituées) de son établissement,
ont laissé leurs noms sur l'une de ces peintures de propagande.
Les noms conventionnels
que l'on donne aujourd'hui aux rues de la ville, les plaques
déclinant le numéro des regiones et des
insulae n'existaient pas dans l'antiquité. Comment
se repérait-on à Pompéi ? Nous n'en savons
rien mais nous pouvons penser que les habitants avaient les mêmes
points de repères que le touriste moderne, l'orientation
par rapport au Forum ou à tel grand monument (amphithéâtre,
thermes, macellum) ou à telle grande demeure connue de
tous, telle sculpture ornant un mur ou une fontaine, une enseigne
de pierre indiquant la spécialité d'une boutique
: une chèvre (pour un fromager ?) à l'insula V
de la regio VII, des porteurs d'amphore pour un marchand de vin
ou des saucisses phalliques encadrant un cornet de dés
pour un gargotier joignant plaisamment le profane et le sacré...
Tout est fait à
Pompéi pour assurer la coexistence paisible des différentes
activités avec une efficacité maximum : de larges
trottoirs bordent les grandes rues commerçantes et mettent
le promeneur ou le chaland à l'abri des chars et des charrettes
; des passages pour les piétons, faits de larges blocs
de basalte espacés les uns des
autres en fonction de la largeur
d'essieu des chars, assurent une traversée à pied
sec des uns sans entraver la circulation rapide des autres. Les
roues des chars, cerclées de métal, ont laissé
des traces profondes de leur passage dans la chaussée
de calcaire ou de trachyte et l'on imagine les conducteurs, nerveux,
fouettant leurs chevaux sans crier gare : les piétons
n'ont qu'à s'en remettre à la protection magique
qu'assurent les nombreux symboles phalliques aux carrefours dangereux
!
Pas question pour
autant de laisser libre cours à l'arrogance des jeunes
aristocrates et, puisque l'on ne peut avoir entièrement
confiance dans leur civisme, la traversée du forum leur
est strictement interdite par la barrière infranchissable
de trois dalles levées à la verticale devant chacune
de ses entrées. Il en va de même pour les chariots
des muletiers approvisionnant le Macellum et les boutiques. Les
uns et les autres sont contraints d'emprunter les voies secondaires
pour continuer leur chemin au-delà du Forum et rejoindre
l'autre côté de la ville.
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