Les rues et la voirie

Un carrefour à Pompéi - enseigne de boutique et passage piétonnier (photo © Patricia Carles)

 Rien n'est plus émouvant, peut-être, que de flâner dans les rues de Pompéi. On y sent partout palpiter la vie de la cité engloutie, toute bruissante de ses activités commerciales, résonnant du fracas des chars, des insultes des conducteurs pressés, des rires et des jeux des enfants, des conversations des femmes arrêtées à la fontaine...

La ville, qui a gardé de sa vocation militaire originelle d'imposantes fortifications, est construite selon un plan classique en damier emprunté à Hippodamos de Milet. Le cardo, du sud au nord, formé par les rues de Stabies et du Vésuve, et le decumanus, d'est en ouest, la traversent de part en part. Pompéi doit à son expansion dans l'histoire de compter deux decumani maximi, la fameuse rue de l'Abondance, qui se prolonge, au-delà du Forum, par la rue de la Mer, et l'axe formé par la rue de Nole, la rue de la Fortune et la rue des Thermes.

Les voies pompéiennes s'articulent selon une logique rigoureuse suivant l'importance des quartiers traversés, des artères principales qui mènent au forum, coeur battant de la cité, tout en desservant les portes, au vicus, à la ruelle vouée aux circulations de proximité, comme le vicus de la boulangerie de Modeste, voire au viculus, simple venelle abritant de riches villas ou de modestes auberges comme le viculus Mercurius, par exemple.

La rue de l'Abondance, qui doit son nom à sa fontaine sculptée d'une Concordia augusta portant une corne d'abondance, est bordée de nombreuses boutiques et mène tout droit au forum. Elle était sans doute, avec ses 8m 50 de large, la plus fréquentée de Pompéi. On y trouve de nombreuses "affiches" électorales, peintes en lettres rouges et noires sur les murs. Les commerçants, voire de simples particuliers, tenaient en effet à honneur de faire partager leurs choix électoraux par leurs concitoyens. Groupés en corporations de métiers ou de quartiers, ils embauchaient des scriptores qui travaillaient de nuit à la lumière d'un lanternarius. Les femmes, même si elles n'avaient pas le droit de vote, ne répugnaient pas à s'engager dans la lutte politique : Asellina, simple tenancière d'un thermopolium, et ses employées - Smyrina, Aegle, Maria - les serveuses (et/ou prostituées) de son établissement, ont laissé leurs noms sur l'une de ces peintures de propagande.

Les noms conventionnels que l'on donne aujourd'hui aux rues de la ville, les plaques déclinant le numéro des regiones et des insulae n'existaient pas dans l'antiquité. Comment se repérait-on à Pompéi ? Nous n'en savons rien mais nous pouvons penser que les habitants avaient les mêmes points de repères que le touriste moderne, l'orientation par rapport au Forum ou à tel grand monument (amphithéâtre, thermes, macellum) ou à telle grande demeure connue de tous, telle sculpture ornant un mur ou une fontaine, une enseigne de pierre indiquant la spécialité d'une boutique : une chèvre (pour un fromager ?) à l'insula V de la regio VII, des porteurs d'amphore pour un marchand de vin ou des saucisses phalliques encadrant un cornet de dés pour un gargotier joignant plaisamment le profane et le sacré...

Tout est fait à Pompéi pour assurer la coexistence paisible des différentes activités avec une efficacité maximum : de larges trottoirs bordent les grandes rues commerçantes et mettent le promeneur ou le chaland à l'abri des chars et des charrettes ; des passages pour les piétons, faits de larges blocs de basalte espacés les uns des autres en fonction de la largeur d'essieu des chars, assurent une traversée à pied sec des uns sans entraver la circulation rapide des autres. Les roues des chars, cerclées de métal, ont laissé des traces profondes de leur passage dans la chaussée de calcaire ou de trachyte et l'on imagine les conducteurs, nerveux, fouettant leurs chevaux sans crier gare : les piétons n'ont qu'à s'en remettre à la protection magique qu'assurent les nombreux symboles phalliques aux carrefours dangereux !

Pas question pour autant de laisser libre cours à l'arrogance des jeunes aristocrates et, puisque l'on ne peut avoir entièrement confiance dans leur civisme, la traversée du forum leur est strictement interdite par la barrière infranchissable de trois dalles levées à la verticale devant chacune de ses entrées. Il en va de même pour les chariots des muletiers approvisionnant le Macellum et les boutiques. Les uns et les autres sont contraints d'emprunter les voies secondaires pour continuer leur chemin au-delà du Forum et rejoindre l'autre côté de la ville.

     

  

 

 
     

   

 

     
 

 

 

 

 

 

 

 
 

  
 

  
 

  
 

 

   

 phallus apotropaïque

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