Tavernes et gargotes
n'avaient pas bonne presse dans l'antiquité romaine.
Le terme générique de "ganea",
synonyme de "mauvais lieu", pouvait désigner
indifféremment toutes sortes d'établissement :
le "deversorium" ou la "caupona"
(l'auberge où s'arrêtaient les voyageurs), la "popina"
ou la "taberna vinaria" du marchand de vin,
et, bien sûr, le "thermopolium".
Les thermopolia,
dont les comédies de Plaute gardent le souvenir, sont
légion à Pompéi et à Herculanum :
"Un comptoir en maçonnerie, revêtu généralement
de plaques de marbre irrégulièrement cassées,
formait la devanture, écrit Thédenat dans son
Pompéi, vie publique ; des vases en terre y étaient
encastrés, dans lesquels on tenait à la disposition
des acheteurs ou des consommateurs certaines denrées :
des olives, de la saumure, de l'huile, des légumes secs,
etc. Un petit foyer ménagé sous quelques-uns de
ces vases permettait de conserver ou de verser au consommateur
des boissons chaudes... Quelquefois, mais rarement, le devant
du comptoir était orné de plaques de marbre bien
taillées et symétriques ou de peintures. Plusieurs
gradins appuyés au mur portaient les verres et les bouteilles."
On y mangeait
"sur le pouce", dans le tapage des conversations
et les vapeurs de cuisson, parfois debout devant un comptoir
graisseux, souvent assis sur quelque mauvais banc et non pas
couché sur un triclinium comme on le faisait chez les
gens bien éduqués. Le mobilier était rare
et fruste, les provisions et les jambons pendaient tout simplement
au plafond, comme on le voit sur les peintures murales de l'auberge
de la rue de Mercure.
La clientèle
des thermopolia et des cauponae appartenait généralement
aux classes les plus basses de la société ; les
riches et les puissants disposaient quant à eux de toutes
les ressources de l'hospitalité publique ou privée.
Esclaves, muletiers, matelots, ouvriers de toutes sortes pouvaient
s'y restaurer à vil prix, y jouer aux dés, comme
les hôtes de l'auberge de Mercure, et même y trouver
parfois une compagne d'un moment.
Polybe nous apprend qu'au II° siècle avant J.C. on
ne demandait qu'un demi-as pour solde de tout compte dans une
auberge de la Gaule Cisalpine et l'on a retrouvé sous
un bas-relief grossier du I°siècle de l'empire, un
dialogue fort instructif entre un client et une aubergiste d'Isernia,
dans le Samnium :
"- Hôtesse,
comptons.
- Tu as un setier
de vin.
- Pour le pain,
un as, pour le pulmentarium (bouillie ou gâteau de farine),
deux as.
- D'accord.
- Pour la fille
huit as ;
- Pour cela aussi,
d'accord.
- Du foin pour
le mulet, deux as."
Les tenanciers de
ces établissements de restauration ("copones",
"copae", "popae", "popinariae",
"tabernarii", "hospitales") étaient
étroitement surveillés par les édiles chargés
de la police des moeurs. Ils étaient en effet réputés
voleurs, voire proxénètes, et les tenancières
passaient facilement pour sorcières. Galien accuse même
les aubergistes de servir à leurs hôtes de la chair
humaine !... Ils appartenaient pourtant parfois à l'élite
de la société : les riches propriétaires
ne dédaignaient pas, en effet, d'installer des auberges
le long des routes qui traversaient leurs terres et de les faire
tenir par leurs esclaves...
Certains des thermopolia
de Pompéi affichent pourtant une belle élégance,
comme le fameux thermopolium du laraire qui doit son nom
à une peinture murale représentant des lares domestiques
de l'établissement. Ils sont entourés de Mercure,
dieu du commerce, qu'on aperçoit à gauche, avec
son caducée dans la main gauche et une bourse bien garnie
dans la main droite, et de Dionysos ou Bacchus, protecteur de
la vigne et du vin, que l'on reconnaît à son thyrse
et à la panthère qui l'accompagne dans ses errances
enivrées. Au centre, le maître de maison (ou son
genius), la tête couverte d'un pan de sa toge, s'apprête
apparemment à sacrifier un coq devant un plateau d'offrandes
; car, si l'on en croit Horace, les prémices de la nourriture
reviennent de droit aux lares de la maison. Ceux-ci se tiennent
à ses côtés : conformément à
la coutume, ils sont représentés comme des adolescents
tenant, de la main droite, un rhyton à boire le vin en
forme de corne d'abondance (thermopolium oblige) et, de la main
gauche, un panier de fruits destiné aux offrandes. Sous
le motif principal, deux serpents affrontés, de part et
d'autre d'un petit autel en forme de colonne, rappellent que
les lares sont des divinités profondément enracinées
dans le sol de la maison qu'ils protègent. A la différence
des pénates, que l'on transporte toujours avec soi, ils
sont inamovibles. A en juger par la coquette somme découverte
dans la boutique pendant les fouilles, les prières du
tenancier ne sont pas restées vaines : la clientèle
ne boudait pas son "vin noir comme de l'encre"
!
Certains patrons
de thermopolia ne se contentaient pas de vendre des encas et
des boissons chaudes, ils pouvaient aussi fabriquer leur pain
et leur pâtisserie sur place comme en témoigne le
grand thermopolium-boulangerie de Pompéi.
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