de Lovers and Lollipops à Carol

Une étude détaillée du film de Todd Haynes

de Lovers and Lollipops à Carol

Messagepar locipompeiani » 12 Mars 2017, 10:54

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Todd Haynes et Mary Engel, la fille de Ruth Orkin et de Morris Engel

Todd Haynes reconnaît explicitement ce qu’il doit à Ruth Orkin et à Moris Engel, et, en particulier à Lovers and Lollipops, le deuxième long métrage des deux photoreporters new yorkais où une jeune veuve, Ann, mère d’une enfant de 7 ans, s’engage dans une relation amoureuse avec Larry, un ami qui revient d’Amérique du Sud. Alternant les scènes d’intérieur et d’extérieur, ils explorent, dans des scènes charmantes, la manière dont la fillette apprivoise l'intrus et les pérégrinations du couple et de Peggy à travers New York donnent lieu à de superbes paysages urbains dont certains préfigurent ceux de Carol.

« Tout dans ce film m’a été utile parce que c’est une véritable tranche de vie de l’époque », affirme Todd Haynes. […] Les femmes ne s’y comportent pas comme elles le font aujourd’hui, après les années 70 et [les audaces de] Patti Smith. Le film restitue dans toute sa fraîcheur un langage perdu de la féminité, celui des années de jeunesse de nos grands-mères.»

La vie familiale de Carol témoigne de ce temps retrouvé : Rindy, sur les genoux de Harge, rejoue la séquence de Lovers and Lollipops où Larry fait la lecture à la petite Peggy.


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Larry faisant la lecture à Peggy dans Lovers and Lollipops et Harge avec Rindy dans Carol

Malgré la tension qui s’installe entre Carol et son mari, la scène garde quelque chose de l’intimité bien particulière des foyers des années 50 et de l’attention bienveillante des parents envers leurs enfants. Bien qu’en instance de divorce, Carol et Harge revivent dans cette parenthèse la parentalité heureuse des couples de l’époque. Image idéalisée sans doute, dont Todd Haynes révèle à sa manière les faux-semblants, mais image révélatrice d’une conception de la famille aujourd’hui disparue.


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Lovers and Lollipops et Carol, deux images d'une parentalité heureuse

Car l’enfant était le ciment du couple dans ces années : malgré la faillite de leur union, Carol et Harge restent attentifs ensemble aux dessins de Rindy, qu’on dirait tout droit sortis du film de Ruth Orkin et Morris Engel…


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dessins d'enfants : Peggy dans Lovers and Lollipops et Rindy dans Carol

La scène de l’évier, qu’on pourrait trouver étonnante chez les Aird, est elle aussi un clin-d’œil de Todd Haynes à Lovers and Lolipops : Larry, comme Harge, y répare une fuite dans la maison qu’il visite avec Ann : qu’il soit ingénieur ou cadre haut-placé, l’homme de l’époque se doit d’être un bricoleur habile comme la femme se doit d’être une bonne ménagère.


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la scène de l'évier dans Lovers and Lollipops et dans Carol

La répartition des tâches et les lois du genre s’apprennent dès l’enfance : Carol ne fait pas que coiffer Rindy devant sa toilette, elle lui donne, du même coup, un modèle de la féminité et de ses exigences comme le faisait Ann se maquillant devant son miroir en compagnie de Peggy. 100 coups de brosse, voilà ce qu’il faut, chaque matin, à une femme pour entretenir sa coiffure !

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Ann et Peggy devant la coiffeuse dans Lovers and Lollipops et Carol coiffant Rindy dans Carol


Les deux artistes new yorkais exploraient déjà, à leur manière, les stéréotypes du genre qui structurent l’univers enfantin.


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le magasin de jouets dans Lovers and Lollipops et dans Carol

Thérèse arpente les rayons du magasin de jouets de chez Frankensberg comme Larry arpentait ceux de Macy’s avec la petite Peggy.


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le rayon des jouets de garçons dans Lovers and Lollipops et dans Carol


Aux garçons les voitures à pédales ou les trains électriques, aux fillettes les poupées et les poussettes à travers lesquelles elles apprendront leur rôle de mère. Que Todd Haynes ait choisi de montrer une poupée prisonnière des barreaux d’un parc de bébé n’est évidemment pas un hasard !

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le rayon des jouets de filles dans Lovers and Lollipops et dans Carol
Bien cordialement,
Patricia Carles