La musique de Carter Burwell et la bande son
Publié: 04 Juillet 2016, 10:29
Nous l'avons dit ailleurs, l'amour romantique au féminin est doublement interdit dans l’Amérique machiste des années 50. La sexualité féminine, condamnée au silence en tant que telle, est plus occultée encore quand elle emprunte des chemins de traverse. La littérature ordinaire et le cinéma l’ignorent – sauf à en donner une image catastrophiste ou abjecte – et les institutions mêmes qui la répriment évitent soigneusement de la nommer. L’amour lesbien, criminalisé par le maccarthysme (les homosexuels étant considérés comme des agents potentiels du communisme), devient littéralement indicible : Carol et Thérèse ne disposent d’aucun modèle culturel, d’aucun langage commun pour exprimer leurs sentiments voire pour se les avouer à elles-mêmes... C'est donc, en grande partie, à travers les métaphores visuelles et la symbolique photographique que passent le non-dit des dialogues et le sous-texte du film... Mais la bande-son, au-delà et en deçà des dialogues, n’est pas moins "parlante" que l’image. La complémentarité de la photographie et de la musique apparaît d’ailleurs manière emblématique dans les cadeaux que se font les deux héroïnes : un CANON pour Thérèse et un disque de Billy Holiday pour Carol.
Carol devant la vitrine du magasin CANON et Thérèse chez le marchand de disques
Avant même qu’elles n'apparaissent, la musique envoûtante de Carter Burwell, résonne à l'unisson de la passion qui va les éblouir et les déchirer : les intervalles chromatiques du thème, ses avancées et ses reculs, se présentent d’emblée comme "l'hymne" de cet amour entravé, prisonnier des interdits, qui cherche à s’exprimer envers et contre tout ; ses harmonies ambiguës, à la limite de la dissonance, traduisent au plus près la complexité de la situation affective des personnages, le mélange de retenue et de désir irrépressible qui fait tout le mystère de Carol et l’étrange liberté de Thérèse, empreinte d’audaces inattendues et de timidités juvéniles.
Mais rien, en apparence, ne justifie le motif obsédant de cette ouverture dans le scénario : le motif de l’arrivée d’un train, "la plainte stridente sortant de la nuit", la foule indistincte dont se détache un homme en chapeau, l’achat du journal, le scotch pris au bar de l’hôtel évoquent le film policier plus que la romance :
La musique de Carter Burwell laisse la place aux bavardages insupportables de Jack au moment où apparaissent Thérèse et Carol. Le suspense émotionnel qu’elle installe dès le début du film transcrit la filiation hitchcockienne de Carol : pour Patricia Highsmith, qui a si longtemps caché son homosexualité, l’amour lesbien reste "le plus beaux des crimes"….
Carol devant la vitrine du magasin CANON et Thérèse chez le marchand de disques
Avant même qu’elles n'apparaissent, la musique envoûtante de Carter Burwell, résonne à l'unisson de la passion qui va les éblouir et les déchirer : les intervalles chromatiques du thème, ses avancées et ses reculs, se présentent d’emblée comme "l'hymne" de cet amour entravé, prisonnier des interdits, qui cherche à s’exprimer envers et contre tout ; ses harmonies ambiguës, à la limite de la dissonance, traduisent au plus près la complexité de la situation affective des personnages, le mélange de retenue et de désir irrépressible qui fait tout le mystère de Carol et l’étrange liberté de Thérèse, empreinte d’audaces inattendues et de timidités juvéniles.
Mais rien, en apparence, ne justifie le motif obsédant de cette ouverture dans le scénario : le motif de l’arrivée d’un train, "la plainte stridente sortant de la nuit", la foule indistincte dont se détache un homme en chapeau, l’achat du journal, le scotch pris au bar de l’hôtel évoquent le film policier plus que la romance :
EXT. NYC SUBWAY STATION. APRIL 1953. NIGHT.
Out of the darkness, the screeching moan of an arriving train. A dark swarm of bodies file out of the LEXINGTON and 59TH ST STATION. We descend upon the crowd, singling out a young man in coat and hat, JACK TAFT, late 20s, who weaves through the line of COMMUTERS, some opening umbrellas to the patchy skies. JACK buys an evening paper at a newsstand and makes his way across 59th.
EXT./INT. RITZ TOWER HOTEL. NIGHT.
JACK enters the hotel and we follow him as he walks through the lobby to the bar. JACK easily finds a stool, nods to the BARTENDER and tosses him the newspaper. The bartender points to a bottle of Dewars and JACK gives him a thumbs up. He scans the cocktail lounge adjacent to the bar - not much activity in there, either: a FEW TABLES OF BUSINESSMEN getting drunk, an elderly couple, two women tucked away in a corner table. JACK checks his watch and the BARTENDER sets down his drink.
JACK: Not much going on for a Friday.
BARTENDER: It’s early yet.
JACK downs his scotch, slides his empty glass over to the Bartender, taps out a rhythm along the edge of the bar.
JACK: Say Cal, make it a double, would you? And one for yourself. I gotta make a call.
JACK gets up.
INT. RITZ TOWER HOTEL. BAR/LOUNGE. NIGHT.
JACK makes his way through the lounge on his way to a telephone booth. He takes another look at the TWO WOMEN tucked away in the corner, deep in conversation, and thinks he recognizes one of them. He begins approaching them.
La musique de Carter Burwell laisse la place aux bavardages insupportables de Jack au moment où apparaissent Thérèse et Carol. Le suspense émotionnel qu’elle installe dès le début du film transcrit la filiation hitchcockienne de Carol : pour Patricia Highsmith, qui a si longtemps caché son homosexualité, l’amour lesbien reste "le plus beaux des crimes"….