L'enseignement européen sous la coupe des marchés

L'enseignement européen sous la coupe des marchés

Messagepar locipompeiani » 13 Septembre 2015, 07:21

Les nouveaux maîtres de l'Ecole.
L'enseignement européen sous la coupe des marchés

par Nico Hirtt, Bruxelles, Edition EPO, 2000.

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03 L ENSEIGNEMENT SOUS LA COUPE DES MARCHES.rtf
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Fany Coche a écrit: C'est un livre d'avant-garde qui fait voler en éclat la certitude que l'Education fait depuis trop longtemps partie du service public pour qu'on puisse véritablement lui porter atteinte, et surtout qui cherche à donner aux luttes menées dans ce secteur, un cadre plus large, celui de la résistance à la dictature des marchés.
A partir d'un travail mené sur toute une série de sources (rapports de la commission européenne, de l'OCDE, discours ministériels, rapports d'organismes patronaux comme la Table Ronde des Industriels Européens) Nico Hirtt, enseignant et syndicaliste belge, montre la collusion qui existe au niveau européen entre les décideurs politiques et le patronat pour toutes les questions afférent à l'Ecole. Et l'on aimerait bien d'ailleurs à ce titre qu'il montre aussi quel est leur rapport à l'AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services), qui fait actuellement l'objet de négociations dans les conférences de l'OMC.

Dans un rapide historique des politiques éducatives, il montre qu'un tournant a eu lieu entre la politique de massification de l'enseignement menée pendant les Trente Glorieuses et la politique de rénovation du système éducatif qui a commencé dans les années quatre-vingt, avec la persistance de la crise économique. Mais au fond, au cours de ces deux périodes, l'Education n'a jamais cessé d'être inféodée au capitalisme. Ce qui a changé justement, ce sont les besoins du patronat : alors qu'avant la crise, il cherchait des travailleurs au niveau de qualification élevé et se montrait donc favorable à une expansion du secteur de l'Education, après les années soixante-dix, l'austérité budgétaire, les restructurations industrielles, la concurrence exacerbée entre les entreprises, et tous les licenciements et le chômage qui en résultent, poussent plutôt le patronat à prôner l'arrêt de la politique de massification et surtout une nouvelle mise en adéquation -mais bien plus radicale cette fois- de l'enseignement avec les besoins de l'économie.

C'est un véritable processus de "dérégulation-privatisation" qui tend désormais à orienter tous les plans de réforme de l'enseignement dans les pays européens et ce, sous le prétexte d'une lutte menée à la fois contre le décrochage scolaire et contre le chômage. Ce processus suit deux directions essentielles qui ont partie liée.

Tout d'abord, le patronat veut désormais être représenté dans les commissions d'élaboration des programmes scolaires, avoir une véritable emprise sur ce qui est enseigné. En effet, il n'a plus tant besoin de travailleurs qualifiés que de travailleurs qui sachent s'adapter le plus rapidement et le mieux possible aux constants changements qui ont lieu au sein de l'entreprise du fait de la concurrence et de la course au profit. Il lui faut également des travailleurs qui soient préparés à changer plusieurs fois de postes au cours de leurs vies. C'est pourquoi, plus que l'enseignement de savoirs et de connaissances générales, le patronat voudrait voir privilégiées l'apprentissage de "compétences" : "la familiarisation du travailleur avec les environnements dictés par les nouvelles technologies (...), sa capacité à répondre rapidement aux ordres, à prendre des décisions et à s'autoformer, les qualités relationnelles, la capacité de travailler en équipe et de résoudre les problèmes", le dévouement à l'entreprise, la confiance en soi, voilà ce qui compte le plus à partir de maintenant. Autrement dit, l'idée est de faire se développer chez les élèves un véritable "savoir-être" qui fera d'eux des travailleurs disciplinés et des citoyens soumis.

A la notion de qualification devrait se substituer, dans l'esprit du patronat, celle d'"employabilité", qui concrètement prendrait la forme d'une "skill's card" (carte de compétence électronique) dont la commission européenne est en train d'étudier la faisabilité. La formation se réduirait à quelques apprentissages de base (lecture, calcul, utilisation d'une interface informatique et éventuellement langue étrangère), les savoirs techniques et scientifiques enseignés jusqu'alors devenant trop rapidement obsolètes, les autres (histoire, lettres, philosophie....) étant sans intérêt dans le monde économique. Elle serait complétée tout au long de la vie par une formation professionnelle permanente parfaitement accordée aux besoins de l'économie. La "skill's card" permettrait d'enregistrer "les compétences partielles (ainsi) acquises de même que les savoirs techniques appris au sein de l'entreprise au cours de la vie active....et de restreindre (ainsi) l'éducation du peuple à ce qui est strictement nécessaire aux besoins de l'économie capitaliste".

La marchandisation totale de l'enseignement est le second grand objectif à atteindre : "après les transports en commun, la poste, les télécommunications et les soins de santé, l'enseignement apparaît comme l'un des derniers grands marchés à conquérir" et c'est un fabuleux marché justement. C'est très clair déjà pour ce qui concerne les NTIC (nouvelles technologies de l'information et des communications) qu'on voudrait faire passer pour un moyen d'améliorer la pédagogie scolaire : l'équipement des établissements, dans ce domaine, représenterait, d'après l'OCDE, un pactole de 875 milliards d'Euros par an ! Et à terme, cela représente un marché plus colossal encore, puisqu'à l'école, par l'utilisation des NTIC, on forme aussi de futurs consommateurs. On peut imaginer à ce compte là quelles sommes seront dégagées de la privatisation du secteur éducatif, lorsque tous les élèves ne seront plus que des "clients demandeurs de formation", obligés de choisir entre une pléiade d'écoles privées en concurrence entre elles et proposant une multitude de cursus différents.

Si cette rénovation radicale du système éducatif européen finit par être menée à son terme, c'est la précarisation du travail qui est favorisée, voire légitimée. Mais avec la différenciation et la hiérarchisation accrue des formations, c'en est surtout fini d'une certaine forme de démocratisation de l'enseignement, selon laquelle tous devaient recevoir le même savoir, un savoir, qui permettait justement à ceux qui n'avaient que l'école pour accéder à la connaissance de pouvoir eux aussi forger leur compréhension du monde.


Entretien avec Nico Hirtt posté le 26 juillet 2013 par Le CorteX pour relayer sa conférence à Grenoble en mai 2012 sur la critique de l’approche par compétences

Vidéo de la conférence intitulée L’enseignement européen sous la coupe des marchés présentée par Nico Hirtt à Lyon le 10 février 2012
Bien cordialement,
Patricia Carles
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Re: L'enseignement européen sous la coupe des marchés

Messagepar locipompeiani » 13 Septembre 2015, 15:46

Le 13 novembre 2010, l’Aped organisait à l’Université Libre de Bruxelles un colloque international sur le thème "L’enseignement européen sous la coupe des marchés". Ce fut notre contribution critique à la présidence belge de l’Union européenne. Nous publions aujourd’hui les actes de ce colloque.
Conférences :
Jan Blommaert : « Enseignement, carrières et moyennes »
Nico Hirtt : « Compétences et compétition : deux formes de la dérégulation de l’enseignement en Europe »
Christian Laval : « Comment la Commission européenne a imposé son agenda néolibéral à l’école » Passionnant!
Ken Jones : « L’enseignement en Europe occidentale : l’ordre nouveau et ses adversaires »
Ateliers :
Combattre le néolibéralisme dans l’enseignement : Syndicats, forums sociaux, associations, internet...
L’éducation européenne est-elle soumise au marché du travail ?
Equité et inégalité dans les systèmes éducatifs européens
L’enseignement supérieur à l’ère de Bologne : entre privatisation et instrumentalisation économique. Compte rendu du groupe de travail en néerlandais sur le même thème
Bien cordialement,
Patricia Carles
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