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suicide d'une enseignante qui se disait harcelée

MessagePublié: 13 Juin 2013, 10:52
par locipompeiani
LE MONDE du 06.06.2013
Par Paul Barelli et Mattea Battaglia

Re: suicide d'une enseignante qui se disait harcelée

MessagePublié: 13 Juin 2013, 14:09
par espacecollege
locipompeiani a écrit:LE MONDE du 06.06.2013
Par Paul Barelli et Mattea Battaglia

Voici la totalité de l'article, la fin n'étant accessible qu'aux abonnés
"
Ce sont dix pages, au format A 4, qui racontent les derniers jours d'une enseignante. Le dernier mois en fait : le 2 avril, Nathalie Filippi, 44 ans, professeure d'espagnol en collège dans la banlieue de Nice, a commencé à consigner d'une écriture serrée, souvent raturée, les événements d'un quotidien devenu insupportable. Jeudi 9 mai, peu avant midi, elle a été
découverte agonisante, dans son appartement de Saint-Laurent-du-Var (Alpes-Maritimes) ; elle avait absorbé, la nuit précédente, un produit ménager hautement toxique. Nathalie Filippi est morte vers 14 heures, dans l'ambulance qui la conduisait à l'hôpital.

Depuis, François Filippi, 70 ans, lit et relit les quelques pages du "carnet" que sa fille a laissé. "Le brouillon d'un rapport que son syndicat lui avait conseillé de rédiger", explique-t-il. Il lui aura fallu un mois pour décider, avec Serge Baillod, le compagnon de Nathalie, de se pourvoir en justice : jeudi 6 juin, leur avocat, Marc Concas, devait se constituer partie civile en leur nom et déposer plainte contre X pour "non-assistance à personne en danger", "provocation au suicide" et "harcèlement moral". S'il semble difficile d'établir les causes exactes du suicide, M. Filippi veut voir dans le "carnet" l'explication du geste désespéré de sa fille.

"Mardi 2 avril 2013. 13 heures. J'accueille mes élèves en classe", a-t-elle écrit sur la première page. "Quatre élèves me demandent de leur faire un mot. Je leur dis de s'asseoir et que l'on verra après (...). Un des (...) élèves s'énerve et quitte la salle." Un collègue fait alors irruption, indiquant qu'un élève est venu lui dire qu'elle n'allait pas bien. "Sur ce, l'adjoint au principal entre dans la classe et lance : "Mme Filippi, vous ne vous sentez pas bien, il faut vous arrêter de suite". Moi : "Je vais très bien (...)". Lui, se tournant vers la classe : "Vous rangez vos affaires et vous me suivez en permanence". Je me retrouve seule dans la classe (...)."

"ILS ONT AJOUTÉ QUE J'ÉTAIS MALADE"

Un peu plus loin : "Jeudi 4 avril. (...) Pendant le cours, un élève assis au fond de la classe s'amusait avec l'interrupteur. (...) Puis, lorsque j'étais en train d'écrire au tableau, il en a profité pour jeter une chaise par la fenêtre. J'ai entendu un bruit, mais je ne me suis pas douté de l'incident (...)". A 13 heures, convocation dans le bureau du principal. "Je n'ai pas
dit un mot", écrit-elle ; "tantôt le principal, tantôt l'adjoint ont dit que j'étais une incapable et une incompétente. Ils ont ajouté que j'étais malade, et ont insisté pour que je prenne un congé. (...) Au bout d'un moment, n'y tenant plus, je me suis levée et j'ai éclaté en sanglots dans le couloir."
Le lendemain, elle prend l'initiative d'un nouveau tête-à-tête avec le principal. "Je lui ai expliqué que malgré quelques problèmes de discipline j'aimais mon métier (...). Il m'a écouté gentiment, et : "Je ne vais pas pratiquer la langue de bois et je vais vous dire que vous êtes dangereuse".
Moi : "Dangereuse ? !". "Oui, pour les élèves. Sous la colère, vous pourriez avoir un mauvais geste". Le dernier épisode est daté du lundi 15 avril, début des vacances de Pâques.
"J'ai reçu un appel de l'adjoint me disant qu'une convocation était partie de l'établissement le 12 avril pour que je me rende chez le médecin du rectorat le 24 avril, note-t-elle. Il m'a conseillé de réunir tous les documents prouvant que j'avais droit au Zomig" - un médicament contre les migraines dont elle souffrait depuis un accident de la route, à 16 ans.
ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE EN COURS
De ce rendez-vous avec la médecine du travail, reporté après les vacances, "rien de particulier" n'est ressorti, reconnaît-on à la direction académique des Alpes-Maritimes : l'enseignante a été déclarée "apte à poursuivre sa mission d'enseignement", quelques jours seulement avant de se tuer.
Ses "notes" se terminent par trois pages non datées, où elle se dit "décrédibilisée", "morigénée", "accablée". "Nathalie se disait harcelée", affirme son père. Impossible de confronter son témoignage avec celui de collègues ou de l'équipe de direction : les deux collèges où elle intervenait comme enseignante vacataire - autrement dit, non titulaire -, celui de La Trinité (12 heures par semaine) et celui de Tourrette-Levens (2 heures), ne nous ont pas ouvert leurs portes. "Une enquête préliminaire est en cours", justifie Philippe Jourdan, le directeur des services départementaux de l'éducation nationale.
Les investigations, diligentées par le parquet de Grasse sur la base du "carnet", doivent vérifier si Nathalie Filippi rencontrait aussi des difficultés à Tourrette-Levens. Un complément d'enquête sur son "comportement" et sur son "environnement" professionnels a été demandé. "On ne peut exclure qu'il y ait eu des défaillances de la part de l'éducation nationale, mais nous en sommes réduits aux hypothèses", explique le procureur, Jean-Michel Cailliau, qui évoque une "conjonction de tensions" auxquelles elle n'aurait pas pu faire face.
"DIFFICULTÉS DANS LA GESTION DE SES CLASSES"
"C'était une enseignante très impliquée, répète son père. Elle nous racontait ses difficultés avec certains gamins, mais aussi sa joie d'enseigner. Je ne l'ai jamais sentie à bout, sauf quand trois jours avant sa mort, elle nous a dit qu'elle allait être inspectée..." Aucune inspection n'était prévue, assure M. Jourdan, mais "un accompagnement pédagogique allait être mis en place, car elle rencontrait manifestement des difficultés dans la gestion de ses classes". Des difficultés isolées ? "Des collègues de Nathalie nous avaient déjà contactés dans l'année, pour faire état de tensions à La Trinité", confie Richard Ghis, du syndicat SNES-FSU ; "des tensions liées aussi à la mise en ouvre de réformes, aux relations avec la hiérarchie...".
Sans être classé "ZEP", le collège de La Trinité, proche de la cité sensible de l'Ariane, n'est pas réputé facile. "Les faits de violence n'augmentent pas mais il y a des incidents, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'établissement", confie un policier niçois qui connaît bien le secteur.
"Mais les enseignants ne se confient pas volontiers."
"OMERTA SCOLAIRE"
Leur silence ne surprend guère Serge Baillod, le compagnon de Nathalie : "L'omerta scolaire concerne tous les échelons, et même quand on est confronté au pire, le mot d'ordre est de se taire !" Très peu d'enseignants ont réagi publiquement après le suicide ; mais sur la Toile, la parole se libère : les internautes ont témoigné de leur émotion, certains rappelant la nécessité de "faire bloc entre enseignants".
Les tabous tombent, progressivement. Selon l'enquête de "victimation" dans le second degré dévoilée en février, le harcèlement n'est pas un épiphénomène. Il a concerné, à un moment ou à un autre de leur carrière, plus d'un répondant sur cinq. Un tiers estime que l'équipe des adultes n'est pas solidaire.
Nathalie Filippi souffrait-elle dans sa vie privée ? "L'enquête, pour l'heure, n'a pas mis en exergue de problèmes psychiatriques chez cette enseignante", assure Jean-Michel Cailliau, qui vient d'être nommé à la Cour de cassation. La famille projette de créer une association d'aide aux enseignants à la mémoire de Nathalie."