Avez-vous entendu notre sémillant président ce matin sur France Inter ? Avec un art consommé de la démagogie, notre sérénissime s'est interrogé sur l'injustice qu'il y avait à ce que les professeurs certifiés ne travaillent que 18 h en collège et en lycée tandis que leurs collègues de la maternelle et du primaire triment 26 h par semaine.
Notre inénarrable défenseur des arts et des lettres, qui n'aime que les chiffres et joue hardiment de la calculette, n'a aucune idée de ce que c'est que préparer un cours sur La Princesse de Clèves, évidemment...
Je ne doute pas un instant que nos collègues de la maternelle et du premier degré aient un travail considérable à faire à la maison mais je gage que leur temps de présence en classe a été évalué, comme le nôtre, en tenant compte des temps de préparation et de correction.
Pour que tout le monde ait les idées claires, je voudrais faire un petit rappel des paramètres qui ont présidé à la définition de nos temps de service :
Ils ont été calculés à une époque où la semaine légale de travail était de 45 h sur la base d’une heure de cours + 1 h de préparation + 1 h de correction de copies. => 1 h en face des élèves = 3 heures de travail ; c’est pourquoi les professeurs de lycée, qui étaient alors exclusivement des agrégés, avaient 15 h de travail en présence d’élèves par semaine. Dans les collèges, où enseignaient alors les professeurs certifiés (CAPES), on comptait 1 h de cours + 1 h de préparation +1/2 h de corrections => 18 h hebdomadaires, soit, là encore 45 h de travail effectif.
Quand on a ouvert le lycée aux titulaires du CAPES, on s’est bien gardé de leur accorder les conditions de travail des agrégés : non seulement leur salaire était inférieur mais leur temps de travail en lycée est passé à 18 h au lieu de 15. Il y a bien sûr des disciplines où cela correspond à peu près à la réalité mais dans une discipline comme la philosophie, le temps de travail effectif d’un prof consciencieux dépasse allègrement les 60 heures par semaine. Personnellement, je ne savais pas ce que c’était qu’un dimanche et toutes mes « petites » vacances étaient consacrées à des corrections (il faudra que je retrouve la photo, une année j’ai emporté à Paris un paquet de 26 cm ½ d’épaisseur, feuilles format A 4 bien sûr).
Ensuite, par le jeu des effectifs de classe et par le jeu des horaires, on n’a pas cessé de faire croître le nombre de classes dont un enseignant a la charge. Il suffit de supprimer une heure dans une discipline et on peut donner une classe de plus à chacun des profs qui étaient jusqu’alors à 18 h : on ne peut refuser les heures supplémentaires qu’à partir de 2 (et encore, depuis peu !). Personnellement, j’ai toujours eu des heures sup dans ces conditions => une classe de trop, épuisant !
La question du français, en l’occurrence, est essentielle. Jusqu’en 1974, un professeur de français de 6° avait 9 h de cours avec la même classe : 3 h en classe entière, et 3 h en demi-groupe => il pouvait se consacrer effectivement à chaque élève et faire vraiment progresser sa classe, en un temps où l’école était très inégalitaire et où les lycées et collèges n’accueillaient qu’une toute petite partie d’une classe d’âge, disons, pour faire court, les « héritiers » dont parle Bourdieu et les boursiers désargentés mais intellectuellement brillants.
En 1975, la réforme Haby a institué le prétendu « collège pour tous » mais, alors que l’on accueillait désormais des enfants venant de milieux sociologiquement et culturellement défavorisés, on a dramatiquement amputé les horaires de français. Or rien n’est possible sans la maîtrise de la langue ! On a assorti cette amputation d’un seuil d’effectifs : pas plus de 25 élèves par classe mais toujours en classe entière. Les plus fragiles ont vite été « largués » pour le dire vulgairement. Ensuite, on a fait sauter le verrou du seuil et l’on est aujourd’hui à plus de 30 élèves par classe et on a continué à sabrer dans les horaires pour accroître les rendements. Personnellement j’ai eu des classes à 38 élèves, les salles de classe sont à peine assez grandes pour les contenir…
Les champions de la calculette font leurs comptes : 1 h de cours hebdomadaire supprimée dans une discipline et c’est, en moyenne, la suppression de 10 000 postes (« équivalents temps plein ») en collège et de 6000 postes en lycée.
Avec une telle logique, on a continué à sacrifier la formation des élèves. Les cours de langues vivantes sont passés à 2 h hebdomadaires dans pratiquement toutes les classes de lycée ! on supprime les cours d’histoire en TS, le français a été supprimé dans toutes les sections en terminale sauf en TL (littéraire) et tout le reste est à l’avenant.
Dans un tel système, seuls les enfants issus des classes favorisées peuvent s’en sortir. Ce n’est pas pour rien que les officines genre Acadomia font fortune ! Le taux de « reproduction » des élites est pire encore qu’il n’était avec l’ancien système, plus inégalitaire en apparence mais où les élèves étaient sélectionnés selon leurs résultats réels et non pas laissés à eux-mêmes et à leurs inégalités d’origine.
Et maintenant, notre bienveillant monarque se penche sur le sort des élèves en difficulté, il veut que nous les accompagnions de nos secours mais QUI les a précipités dans l'abîme ?
L'éducation coûte cher et il ne peut en être autrement. L'ignorance dont les réformes actuelles font le lit, je le crains, coûtera encore plus cher à notre démocratie...