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"Entre les murs", un film consternant !

MessagePublié: 25 Mai 2012, 11:56
par laoshi
Je viens de revoir Entre les murs sur « la 4 » et je dois dire que je ne partage pas du tout l’enthousiasme auquel a donné lieu ce film !

Certes, il y a de beaux morceaux de caricature qui feront sourire tous ceux qui vivent, de l'intérieur, la vie d'un établissement scolaire : le Conseil d'administration et la question du café (on a vécu quelque chose d'approchant avec le vin proposé au menu des agents), les réunions de parents, le conseil de discipline. Certes, les jeunes acteurs sont formidables et je trouve tout à fait juste qu’ils aient reçu un prix d’interprétation. Le travail qu’ils ont fait témoigne des potentialités de ces jeunes trop souvent réduits à leurs origines ethniques (« issus de l’immigration » comme on dit) et assignés, en tant que tels, à l’échec, étiquetés comme incapables de projet, de volonté, de travail : venir tous les mercredis après-midi au collège, même si c’est pour faire un film, n’est pas une sinécure !

Ceci dit, je ne suis pas sûre que le film soit un bon film.

Commençons par le titre : les dialogues, comme les images, insistent lourdement sur l’aspect prison : cf. les hauts murs entre lesquels les élèves, filmés comme du haut d’un mirador, jouent au foot tels des détenus dans la cour exiguë d’une prison ; le principal, plaisamment nommé « Guantanamo » ; l’attitude corporelle des élèves qui comparaissent devant lui en rebelles indomptés, tête baissée mais regard de défi. Sans doute est-ce là, en effet, le vécu de certains élèves qui ne comprennent pas que l’école, malgré les contraintes qu’elle impose, libère des préjugés, de l’ignorance et de la bêtise.

Mais l’école ne peut libérer que si, justement, elle est un sanctuaire, si ses murs la protègent des conflits et des valeurs antagonistes dont sont originairement porteurs les élèves ; or le jeune professeur qui nous est montré comme un modèle de bonne volonté et d’ouverture, renvoie constamment ses élèves à leurs particularismes : au lieu de leur proposer Le Malade imaginaire ou Eugénie Grandet en partage (niveau 4°), il les enferme dans leur culture d’origine quand même ils voudraient en sortir. Ce n’est pas en les faisant travailler sur le match de foot qui oppose la Maroc au Mali qu’on peut désamorcer les conflits communautaristes ! Quand une élève d’origine africaine lui dit qu’il n’est pas là pour lui demander de parler de sa grand-mère mais pour lui enseigner la culture française, il ne l’entend pas ! Il n’entend pas plus celui qui lui dit qu’il ne pourrait pas partager le repas de la mère d’un de ses copains « parce qu’il la respecte trop ». Au lieu d’interroger cette notion de respect, et de faire droit, ainsi, à la réalité vécue par ses élèves comme il le prétend par ailleurs, Bégaudeau ironise : « alors, toi, quand tu respectes les gens, tu ne manges pas avec eux, alors si tu manges avec moi, tu ne me respectes pas ? » L’élève ne peut évidemment rien répondre ; il est réduit au silence, alors qu’à travers cette valeur de respect, il proposait quelque chose qui pouvait ouvrir sur l’universel.

On dira, et c’est ce que Bégaudeau affirme lui-même, que c’est une œuvre cinématographique et rien que cela. Il n’est pourtant pas possible, ici, de faire l’impasse sur l’aspect documentaire du film qui, sous couvert de reportage réaliste, nous propose un modèle pédagogique on ne peut plus contestable.

Croyant se mettre au niveau de ses élèves, Bégaudeau, qui joue son propre rôle, emploie un niveau de langue consternant, grammaticalement très incorrect. On ne voit pas comment, dès lors, il pourrait apprendre à ses élèves l’imparfait du subjonctif ! Il ne leur montre pas, justement, qu’entre les murs, c’est une autre langue qui s’impose. Qu’entre les murs, je ne parle pas comme je parle « à ma mère ». Ce faisant, il enferme ses élèves dans ce que les Anglais appellent un « double bind » (système de double exigence contradictoire en français) : je vous enseigne une langue que je ne parle pas, preuve qu’elle ne vaut rien. Et quand une élève lui demande comment faire la différence entre les niveaux de langue, il lui répond que c’est « l’intuition » (« la tuition », reprend l’élève). Outre qu’il y a des critères objectifs pour repérer ces niveaux de langue, on ne voit pas comment elle pourrait en avoir l’intuition si justement lui, qui est censé transmettre la norme linguistique, s’en affranchit !

Et tout est à l’avenant ! Qu’un élève ignore ce qu’est l’Autriche et voilà que « tout le monde se fout de l’Autriche, que même, si elle était rayée de la carte, personne ne s’en rendrait compte ! » Belle leçon de tolérance et d’ouverture à l’autre !...

Et le film n’est rien par rapport au livre, mal écrit au possible, bourré de fautes d’orthographe, de grammaire et de vocabulaire. J’apprends, en consultant Wikipédia, que Bégaudeau est agrégé de Lettres modernes. Il est étrange qu'il ait oublié tout ce qu'il a appris en la matière : presque toutes les leçons dont il donne le compte rendu dans son livre sont gravement fautives. Qu'il ait pu recevoir le prix France Culture/Télérama pour son livre me consterne ! Il a, en tout cas, fort bien fait de troquer l'enseignement contre le cinéma...